Interview de Céline Ripolles et Margaux Girves
Transcription par Céline Ripolles
La vidéo avec sous-titres :
[Musique entraînante]
-[George] Bonjour et bienvenue dans ce troisième numéro d'AFTTalk. Aujourd'hui, nous allons aborder le sujet de l'accessibilité, principalement pour les personnes sourdes ou malentendantes. Nous sommes en présence de Céline et Margaux. Je vous en prie, présentez-vous, et surtout, pensez aux personnes non-voyantes et malvoyantes.
-[Céline] Avec plaisir. Je m'appelle Céline, aujourd'hui, je porte un haut bleu avec des petits motifs roses, un pantalon noir et je suis une femme blanche, brune avec les cheveux mi-longs.
-[Margaux] Donc moi, c'est Margaux, je suis une jeune femme avec les cheveux mi-longs bruns, je suis blanche et je porte aujourd'hui une chemise kaki et un pantalon noir.
-[George] Que faites-vous dans la vie ?
-[Céline] Donc je suis sous-titreuse, traductrice et formatrice. J'ai découvert le milieu de l'accessibilité lors de ma première expérience professionnelle. J'ai travaillé pour une grande agence de sous-titrage. C'est lors de cette première expérience que j'ai découvert le sous-titrage Sourd et Malentendant, un type de sous-titrage très particulier pour les personnes concernées par la surdité. Et en fait, cette expérience-là m'a vraiment ouvert au monde de la surdité et donc j'ai voulu m'intéresser aux besoins des personnes concernées. Aujourd'hui, en tant qu'indépendante, j'aide les entreprises et les créateurs de contenu à rendre leurs contenus ou leurs événements plus accessibles grâce notamment au sous-titrage de vidéos, au sous-titrage en direct, à la transcription et à la formation en accessibilité numérique.
-[Margaux] Donc moi, c'est Margaux, je suis cheffe de projet en traduction, traductrice, interprète, relectrice également. Je travaille à AFTCom depuis maintenant un peu plus de deux ans et donc voilà, tous les jours, je pratique la traduction, je fais beaucoup de gestion de projets également. Je suis moins... Voilà, je suis moins calée dans tout ce qui est accessibilité, c'est pour ça que j'ai le plaisir d'être avec Céline aujourd'hui, on va pouvoir en discuter un peu plus et vraiment rentrer dans le vif du sujet, qui est un sujet actuel également. Ce sera l'occasion d'en découvrir un peu plus pendant cette discussion.
-[George] Merci. Pour parler d'accessibilité, on va commencer par voir ce qui se passe au niveau international, comme par exemple à l'ONU ou au Parlement européen. Quels sont les moyens mis en place pour permettre à tous de se comprendre et d'interagir ?
-[Céline] Par exemple, dans les grands organismes comme l'ONU, on a de plus en plus de prise en compte de l'accessibilité et de prise en compte du fait que l'accessibilité, c'est finalement pour tout le monde ça va aider tout le monde. Par exemple, par des dispositifs comme le sous-titrage en direct, l'interprétation, dans des langues différentes, donc depuis l'anglais vers toutes les langues de l'ONU. Mais aussi dans les différentes langues des signes, puisque contrairement à ce que l'on peut... à ce que l'on a parfois comme cliché, il n'y a pas qu'une seule langue des signes. Par exemple, on a la langue des signes française, américaine ou britannique. Et donc des interprètes vont être prévus pour ces événements. Et grâce au sous-titrage en direct, on peut aider les personnes qui... sont concernées par la surdité mais aussi des personnes qui peut-être ont du mal à se concentrer, vont peut-être moins entendre si elles sont au fond des salles de réunion, par exemple. Et en fait aussi, pendant les réunions, grâce à ça, on va avoir ensuite une transcription qu'on pourra suivre pour être sûr d'avoir tout suivi et tout bien compris.
-[Margaux] C'est quelque chose qui se met de plus en plus en place, finalement, on a un peu cette idée... Une idée préconçue de... Générale de comment ça se passe dans les... grandes conférences à l'ONU, avec justement tous ces interprètes qui assurent la communication avec du coup, voilà... les interprétations simultanées des conférences, mais c'est vrai qu'on se pose moins la question, comme tu disais, sur l'accessibilité. En effet, maintenant, il y a de plus en plus d'interprètes en langue des signes qui sont là pour les personnes qui justement, en ont besoin.
-[Céline] Oui tout à fait, en tout cas l'ONU et d'autres grandes organisations sont vraiment rentrées dans une démarche d'inclusion, donc ça passe par l'accessibilité des bâtiments, mais en fait ça passe aussi par l'accessibilité, j'ai envie de dire, dans la vie quotidienne et l'accessibilité numérique bien sûr, puisque... Il ne suffit pas de rendre un événement accessible, il faut aussi rendre tous les supports de communication accessibles pour que tout le monde puisse avoir accès... puisse y avoir accès, pardon, de la même manière.
-[Margaux] Ce qui est intéressant aussi, c'est que tu parlais du fait qu'en fait, même les personnes qui ne sont pas forcément en situation de handicap pouvaient bénéficier aussi de... de cette aide, on va dire...
-[Céline] Oui.
-[Margaux]... de ce type de support, par exemple, les personnes en fond de salle, dans ce style de réunion à grande envergure, au final, ça bénéficie à tout le monde, tout le monde peut profiter, et en premier lieu bien sûr, les personnes concernées. Donc c'est intéressant que dans plein de cas, ça peut vraiment être, enfin, au service de tout le monde.
-[Céline] Oui, tout à fait. Lors de mes prestations de sous-titrage en direct, bien sûr les personnes sourdes viennent me voir pour m'expliquer qu'elles ont mieux compris certains débats ou conférences, mais aussi parfois des personnes entendantes qui me disent : "En fait, j'ai eu du mal à comprendre, par exemple, si c'est une conférence en anglais et que la personne n'est pas bilingue ou a du mal à comprendre certaines expressions, finalement, le voir écrit, ça aide à la compréhension. Aussi, les personnes qui sont en retard ou qui ont décroché à un moment donné, peuvent rattraper le train en route, j'ai envie de dire, grâce au sous-titrage en direct.
-[Margaux] Oui, ça aide beaucoup, c'est vrai.
-[George] Merci. Bon. Nous avons parlé là de ce qui se passe dans un cercle, on va dire, plutôt... strict, des réunions où il n'y a pas forcément de choses extraordinaires qui se passeront, il n'y aura pas d'impondérables, d'imprévus mais si maintenant nous parlons un peu plus de ce qui se passe lors d'événements comme des spectacles, les JO... les Jeux Paralympiques, les concerts... Comment fait-on pour rendre ce type d'événement accessibles à tous ? Surtout que nous avons vu récemment sur YouTube principalement, des extraits de concerts par exemple, je crois, de Taylor Swift ou des rappeurs comme Eminem, on a vu ça. Il y avait des interprètes en langue des signes pour les personnes présentes au concert.
-[Céline] Tout à fait. Effectivement, j'ai parlé déjà du sous-titrage en direct, d'interprétation en langue des signes, c'est quelque chose que l'on voit de plus en plus souvent. Mais c'est vrai qu'il y a plein d'autres choses. Et je dirais de commencer par une chose assez simple, c'est que quand on fait un événement, souvent, on sait à peu près qui sont les personnes qui viendront et si on ne le sait pas, essayez de savoir qui elles sont et quels sont leurs besoins. Par exemple, on peut utiliser des formulaires si la personne s'est inscrite en ligne, on peut lui envoyer ensuite par mail un formulaire pour lui demander : "Quels sont vos besoins d'accessibilité ?" "Est-ce que vous serez dans une situation particulière ?" "Comment allez-vous venir ?" "Est-ce qu'on peut vous aider sur tel ou tel sujet ?" En fait, comme ça, on peut savoir à peu près quoi mettre en place en priorité. Comme ça, on peut savoir si on a une personne sourde qui vient et on peut lui demander si elle connaît la langue des signes, ce qui n'est pas toujours le cas.
-[Margaux] Oui.
-[Céline] Ou si elle a besoin de sous-titrage en direct... Donc voilà, avec ces types de formulaires, on peut savoir et aussi prévoir l'accessibilité de la salle, comment est-ce qu'on va arriver, est-ce qu'on aura un ascenseur, est-ce qu'on aura une rampe d'accès... des choses comme ça. Et on peut aussi penser à plusieurs types de population, comme les personnes malvoyantes ou non-voyantes. Quels vont être leurs besoins ? Elles peuvent par exemple avoir besoin d'une personne qui les accompagne, donc dans ce cas-là, prévoir une place en plus pour cette personne accompagnante. Elles peuvent avoir besoin de supports en braille ou de supports en gros caractères, par exemple. Donc voilà, il y a plusieurs choses que l'on peut mettre en place, selon les personnes, mais... je pense que c'est parfois difficile de penser à tout, selon tous les types de handicap. Donc à mon avis, c'est mieux de commencer par les besoins des personnes concernées et des personnes que l'on va accueillir.
-[Margaux] Et on en avait parlé la dernière fois, tu évoquais également l'importance, peut-être, d'avoir même des personnes sur place comme des référents handicap, ou même des personnes de confiance. Par exemple, qu'est-ce que ce rôle... Ces personnes-là peuvent apporter en plus à l'événement ?
-[Céline] Tout à fait, parce que même si on a recueilli les besoins des personnes concernées et qu'on a mis en place des choses, on n'est pas à l'abri qu'une chose se passe mal ou que la personne n'ait pas accès à ce qu'on a prévu. Par exemple, si on a prévu de l'audiodescription pour les personnes aveugles ou malvoyantes et que le boitier d'audiodescription ne marche pas ou autre, c'est important qu'il y ait une personne qui puisse être là pour s'occuper de ça. Et... En fait, qu'elle n'ait pas forcément d'autres rôles ou responsabilités pour qu'elle puisse vraiment s'occuper de ça. À l'inverse, on peut avoir aussi des personnes là justement pour les personnes en situation de handicap, donc des personnes accompagnatrices ou aussi des personnes de confiance sur qui on peut s'appuyer pour parler de nos besoins aussi en toute confidentialité. Ou aussi de manière générale, en termes d'inclusion, voilà, si... il y a un événement ou une situation qui nous met mal à l'aise ou une situation où on ne sent pas inclus, puisque c'est ça le grand sujet : "Comment inclure les personnes ?" Voilà, avoir une personne de confiance à qui on peut parler en toute confidentialité et qui va pouvoir régler ces choses-là.
-[Margaux] Tu parlais tout à l'heure de l'audiodescription, il y a un terme qu'on utilise aussi, c'est la boucle magnétique. Ca parle peut-être pas à tout le monde, est-ce que tu pourrais expliquer un peu en quoi ça consiste ?
-[Céline] Alors l'audiodescription, on va avoir une personne qui va décrire en direct ce qu'il se passe, sur scène, lors d'un débat etc. Elle va savoir capter les informations les plus importantes pour que la personne aveugle ou malvoyante sache exactement ce qu'il se passe et ait toutes les informations dont elle a besoin. Pour ce qui est de la boucle magnétique, c'est un dispositif que l'on peut mettre en place pour les personnes sourdes appareillées, c'est-à-dire qui ont un appareil auditif, pour leur permettre, en fait, de... régler leurs appareils sur la boucle magnétique pour avoir accès à différents manifestations ou événements.
-[Margaux] OK, très bien. On parlait un peu... Alors, on parlera de l'audiovisuel tout à l'heure plus en détail. Pour tout ce qui est interprète en langue des signes, on peut en parler encore un peu ? C'est vrai que tu mentionnais que la "LFS"... LSF, oui, c'est la principale... interprétation en France, du coup ? Est-ce qu'il y a peut-être... C'est vraiment ce qui est préconisé ? Est-ce qu'il y a des cas où l'on va utiliser l'ASL pour les Américains ou c'est vraiment... ? En France, c'est... ?
-[Céline] Alors oui, donc la langue des signes française est majoritairement parlée par des personnes sourdes françaises, que l'on abrège par "LSF". Les personnes sourdes américaines peuvent parler la langue des signes américaine, ou "ASL" pour "American Sign Language".
-[Margaux] Peut-être dans le cadre d'événements internationaux, j'imagine, on va plutôt faire appel... Si le public...
-[Céline] Le mieux est de faire appel aux deux. Encore une fois, essayez de voir qui sera présent dans la salle, pour être au plus juste sur les besoins. Après, il y a aussi peut-être une mauvaise conception des choses, on pense que toutes les personnes sourdes parlent la langue des signes, ce n'est pas le cas, puisque... on a toutes sortes de typologies de personnes, on va dire, on a des personnes sourdes qui sont ce qu'on appelle : "devenues sourdes" donc qui au cours de la vie, voilà, vont avoir une perte d'audition, une surdité. Et donc dans ce cas-là, peut-être qu'elles parlent un petit peu la langue des signes, mais elles ne sont pas bilingues, on va dire, ou elles ne sont pas natives en langue des signes. Donc voilà, c'est pour ça que c'est toujours important de demander.
-[Margaux] Oui. Et de pas se dire : "D'accord, cette personne est sourde, donc forcément... L'idée conçue que si tu es sourd, tu parles la langue des signes, tu signes.
-[Céline] Oui.
-[Margaux] Alors que comme tu dis, il y a plusieurs niveaux et selon les besoins... Ca va changer d'une personne à l'autre, le besoin.
-[Céline] C'est ça, exactement. Donc c'est vraiment toujours important de demander et de finalement pas... projeter, on va dire, les choses.
-[Margaux] Hmm.
-[Céline] Après, pour ce qui est du sous-titrage en direct, ça va être quelque chose qui est accessible aux personnes sourdes qui signent et qui ne signent pas mais qui doivent bien sûr, pouvoir... Voilà, elles doivent pouvoir lire un écran avec du texte qui s'affiche en direct. Conclusion : on n'a pas qu'une seule langue des signes et aussi on peut sortir du cliché que toutes les personnes sourdes et malentendantes parlent la langue des signes. On a aussi bien sûr beaucoup de personnes malentendantes qui ne sont pas forcément diagnostiquées ou qui ne s'identifient pas comme sourdes. Donc c'est vrai que c'est important de faire attention à ça et de pas forcément projeter certains clichés que l'on peut avoir sur la langue des signes et sur la surdité.
-[George] Merci pour ces précisions. Je pense que maintenant, nous pouvons commencer à parler de l'accessibilité au niveau audiovisuel pour les personnes en situation de handicap, quels sont les moyens mis en place actuellement et qu'est-ce qu'on peut espérer pour que cela s'améliore et/ou se généralise ?
-[Céline] Déjà, merci pour la question, je suis super heureuse de parler d'accessibilité audiovisuelle puisque c'est ma passion et mon coeur de métier. Donc en termes d'accessibilité audiovisuelle, on va parler de l'accessibilité des vidéos, des podcasts, ou de tout type de supports audio ou vidéo. Donc en ce qui concerne les vidéos, bien sûr, on a le sous-titrage. Alors, il faut savoir qu'il y a plusieurs types de sous-titrage et qu'il faut penser vraiment à l'accessibilité de ses sous-titres. On voit de plus en plus sur les réseaux sociaux des vidéos qui sont sous-titrées mais qui vont être sous-titrées de manière non accessible. Par exemple avec des sous-titres trop rapides, qui vont flasher trop vite ou avec trop de couleurs par exemple. Donc pour pallier ça, on a ce qu'on appelle le sous-titrage SME, le sous-titrage Sourd et Malentendant. C'est un sous-titrage qui a été, on va dire, sanctuarisé avec la loi Handicap de 2005 et qui est utilisé principalement à la télévision et au cinéma. Après, sur les réseaux sociaux, on peut s'inspirer de ce sous-titrage-là pour faire un sous-titrage accessible aux personnes sourdes et malentendantes et aussi aux personnes qui ont peut-être d'autres troubles, comme les troubles dys, les troubles de l'attention également. Donc voilà en ce qui concerne les sous-titres, après, pour ce qui est de l'accessibilité des vidéos, on peut vraiment penser à plein de choses. On peut réfléchir au montage, On peut réfléchir aussi à un moyen d'audio-décrire ce qu'il se passe si c'est important. On peut penser aussi à la transcription de podcasts, par exemple. Quand on fait un podcast, c'est un format seulement audio, Donc, pourquoi pas penser à aussi faire une version vidéo de ce podcast, pour que les personnes puissent s'appuyer sur les expressions des visages, puissent s'appuyer sur les sous-titres ou penser à une transcription pour les personnes qui ont besoin de suivre le texte et le son à la fois. Et d'ailleurs, cette transcription-là, elle rentre dans ce qu'on appelle le Référentiel Général de l'Accessibilité, c'est une obligation pour beaucoup de sites Internet d'avoir cette transcription-là, une transcription accessible pour leurs vidéos ou pour leurs formats audio.
-[Margaux] Tu parlais du sous-titrage SME. Qu'est-ce qui en fait sa particularité ? Comment on le différencie d'un sous-titrage, si on peut dire ça, classique, par exemple ?
-[Céline] Le sous-titrage SME comporte des couleurs.
-[Margaux] OK.
-[Céline] Et en fait, ces couleurs vont venir définir le type de son qu'on entend. Par exemple, un dialogue à l'écran, est-ce qu'on va voir la personne qui va parler, est-elle hors-champ ? Est-ce qu'on va avoir une voix-off, un narrateur ? Quel type de son on va avoir ? Est-ce que c'est un bruit, une musique, une musique d'ambiance ? Tout ça. Les couleurs vont venir définir ça et ça va aider les personnes qui en ont besoin à savoir tout de suite, par la couleur, de quoi il s'agit. C'est aussi un sous-titrage qui met vraiment l'accent sur la lisibilité. La lisibilité, c'est vraiment au cœur du sous-titrage accessible. Ce qu'on veut, c'est qu'un sous-titre soit lu et bien lu. Pour ça, on va suivre des normes. Pourquoi est-ce qu'on suit autant de normes ? C'est pour essayer justement d'être le plus accessible possible puisque peut-être qu'une personne va lire très rapidement donc des sous-titres qui défilent très rapidement, ça va pas lui poser de problème. Par contre, une personne qui aura plus de difficultés de lecture ou qui n'entend pas, va peut-être lire plus doucement. Donc c'est pour ça qu'on suit toutes ces normes-là, c'est pour essayer de sortir de sa propre perception des sous-titres et pouvoir mettre en place une accessibilité.
-[Margaux] J'avais vu certains articles qui parlaient du fait que certaines personnes qui n'avaient, pour certains programmes, pas de sous-titrage SME, devaient se reposer sur la VOSTFR par exemple, parce qu'il n'y avait pas forcément de choix. En quoi, justement, pour les personnes... Quelle est cette différence, en fait ? Pourquoi est-ce que... la VOSTFR ne correspond pas à une personne qui a besoin... Ca reprend un peu ce que tu disais, mais pourquoi est-ce que le VOSTFR ne peut pas être la norme ?
-[Céline] En fait, les types de sous-titrage vont s'apparenter à un public. En fait, c'est... Qui veut-on toucher, finalement ? Pour le sous-titrage VOST, FR ou dans d'autres langues, ce qu'on veut, c'est... que la vidéo, le film, la série soit accessible à une personne qui entend, mais qui ne comprend pas la langue de départ de la vidéo, donc par exemple, votre épisode de série en anglais va être sous-titré en français. Par exemple, ce sous-titrage-là ne va pas inclure les sons, la musique...
-[Margaux] La musique, oui.
-[Céline] Puisque la personne entendante n'en a pas besoin. Là où tu as raison, c'est que, souvent, le sous-titrage SME est méconnu, parfois, pas assez souvent diffusé au cinéma. Donc les personnes sourdes vont devoir se rabattre sur le sous-titrage VOST et donc vont aller au cinéma avec un sous-titrage VOST. Donc effectivement, quand la personne est à l'écran, qu'elle parle, j'ai envie de dire, face caméra, qu'il n'y a pas trop de... de bruit, de musique etc. elle comprendra tout sans problème, par contre, ça va être plus difficile quand la personne sera hors-champ ou quand on aura des sons très importants pour l'histoire.
-[Margaux] Qui seront liés à la scène, à la dynamique du film.
-[Céline] Oui, exactement. L'exemple que j'aime prendre, c'est par exemple... Imaginons une scène de film où l'on a plein de personnes à table qui parlent assez joyeusement. Et tout d'un coup, elles se figent, se regardent toutes d'un air inquiet puis arrêtent de parler. Si on n'a pas d'indication de son, si on n'entend pas ce qu'il se passe, pourquoi est-ce que tout d'un coup, elles ont arrêté de parler ? Par contre, si on a une indication de son ou si l'on entend le son, on va savoir qu'une personne a toqué à la porte, que les personnes s'y attendaient pas, ce qui va créer une situation d'angoisse qui va se matérialiser par ce son, on toque à la porte, et aussi peut-être une musique qui va changer. Donc voilà, ça fait partie des sons importants à décrire en sous-titrage SME et qu'on n'aura pas en sous-titrage VOST.
-[Margaux] J'avais vu aussi, par rapport aux différents types de sous-titrage Sourd et Malentendant, donc on connaît le SME en France, il y a le SDH aussi.
-[Céline] Tout à fait.
-[Margaux] Quelles sont les différences entre ces deux...
-[Céline] Oui tout à fait, en fait on a un sous-titrage type "Sourd et Malentendant" par pays. Chacun a des normes différentes. Le sous-titrage SME est donc un sous-titrage en couleurs, là où le sous-titrage SDH, donc "Subtitles for the Deaf and Hard of Hearing", n'est pas en couleurs, seulement en blanc.
-[Margaux] Donc c'est la couleur qui change.
-[Céline] C'est la couleur qui change et en fait, ce grand principe-là fait... en découlent, on va dire, d'autres normes pour indiquer les sons. Par exemple, on va mettre les sons entre crochets, on va indiquer la personne qui parle de manière différente. Et tout ça... Voilà, ce sont des normes très différentes entre le sous-titrage SME et le sous-titrage SDH. Pourquoi c'est important de parler de sous-titrage SDH, même si on n'est pas aux États-Unis ? Car sur les plateformes de streaming, type Netflix, Amazon Prime, Disney+ etc. on va avoir ce sous-titrage-là, même en français.
-[Margaux] Même en France ? Donc même en France, par exemple, quand il y a... Quand on fait des demandes de sous-titrage pour sourds et malentendants, on va préférer... C'est Netflix par exemple, ce sont les plateformes qui veulent, qui décident de garder la norme SDH ?
-[Céline] Voilà, c'est ça. En fait, à la télévision, on a une obligation pour certaines chaînes de sous-titrer avec un sous-titrage SME là où les plateformes n'ont pas cette obligation-là. Donc elles vont choisir souvent un sous-titrage SDH, qui va être...
-[Margaux] Universel ?
-[Céline] Standardisé.
-[Margaux] Standardisé, OK.
-[Céline] Standardisé aux normes américaines. Après, on a par exemple aussi le sous-titrage SME britannique...
-[Margaux] Ah OK.
-[Céline] qui est un sous-titrage en couleurs aussi mais les couleurs ne suivent pas les mêmes principes que les couleurs SME françaises.
-[Margaux] OK. Ca dépend, ouais.
-[Céline] C'est assez passionnant car entre chaque pays...
-[Margaux] Il y a plein de normes différentes, quoi.
-[Céline] Tout à fait.
-[George] Je me pose une question, par rapport au sous-titrage SME avec les couleurs, si en plus tu es daltonien, c'est... peut-être qu'effectivement le côté... du langage américain, c'est peut-être plus... facilement transposable aux personnes qui ont un handicap en plus au niveau... "daltonisme".
-[Margaux] Hmm.
-[Céline] Oui tout à fait, effectivement le sous-titrage SME n'est pas forcément accessible à certains types de handicap...
-[Margaux] Oui.
-[Céline] Liés à la malvoyance de manière générale. Maintenant, on préfère ce qu'on appelle "l'intégration" de sous-titres sur les plateformes plutôt que l'incrustation à la vidéo. L'intégration, on va mettre un fichier de sous-titres dans une plateforme, par exemple YouTube. Quand vous allez sur YouTube et que vous cliquez sur la partie "CC", vous pouvez choisir la langue de vos sous-titres.
-[Margaux] Ouais.
-[Céline] Donc là, c'est un sous-titre intégré et là-dessus, on va pouvoir choisir à peu près la taille de notre sous-titre, comment c'est fait, et pareil sur Netflix. Quand on choisit un sous-titrage, on va choisir la langue, la version, si on a une version SME ou pas et on va pouvoir un peu venir jouer sur les paramètres pour mettre les couleurs qui nous vont bien. Donc ça, c'est vraiment un moyen d'accessibilité qui est... fort, puisque finalement quelques soient nos besoins, on peut personnaliser les choses mais par contre, par exemple, sur LinkedIn, Instagram ou Tiktok on va préférer incruster des sous-titres accessibles à la vidéo car pour l'instant, on n'est pas encore très au fait de cette intégration des sous-titres, finalement. Donc pour être sûr que notre vidéo soit quand même accessible au plus grand nombre, on peut choisir des normes de formatage accessibles au plus grand nombre justement et incrustées à la vidéo.
-[Margaux] Et peut-être pour rebondir un peu justement un peu plus en détail sur... On voit de plus en plus maintenant les vidéos sur les réseaux sociaux avec cette envie de justement inclure des sous-titres. Je vois ça au quotidien sur les reels par exemple sur Instagram et mon expérience en tant que personne valide, on va dire, elle est pas souvent bonne, en fait. J'ai souvent tendance à décocher les sous-titres sur les reels parce que je trouve que c'est fait, alors je pense que c'est encore assez automatisé pour le coup, ce sont des sous-titres presque en direct à la suite qui sont faits. Est-ce que sur ce point-là, des choses sont en train de changer ? On essaie de plus en plus de créer des sous-titres adaptés, je pense, à des posts qui sont rapides, peut-être à des Shorts ?
-[Céline] Alors, pour l'instant... on n'est pas encore... On va pas encore assez loin, disons, dans l'accessibilité des sous-titres et des vidéos. Tu as parlé des reels sur Instagram, effectivement, le sous-titrage est gangréné par le sous-titrage automatique, qui n'intégre pas du tout toutes ces normes dont j'ai parlées qui permettent l'accessibilité. Et quand il n'y a même pas de réflexion derrière autour de l'accessibilité, on passe à côté, puisque bien sûr, les sous-titres, ça ne suffit pas, pour une vidéo complètement accessible, on veut réfléchir à l'audiodescription, à un montage accessible, à des lumières aussi accessibles par exemple, en fait voilà, je dis toujours à mes clients ou à mes élèves qu'en fait, l'accessibilité se pense le plus en amont possible. Quand tu as cette idée de vidéo, il faut réfléchir à tout un tas de choses à mettre en place pour garantir qu'elle soit accessible au plus grand nombre.
-[Margaux] C'est vrai que ça représente un des enjeux finalement de plus en plus important dans le futur.
-[Céline] Oui, tout à fait.
-[Margaux] Tu parlais de l'audiodescription, justement. J'ai un peu lu que sur YouTube, il n'y a pas l'option par exemple, encore, comme on a l'option "sous-titrage". Je ne sais pas... Je pourrais pas dire depuis quand ça existe mais ça fait un moment quand même que ça existe, est-ce que l'audiodescription pourrait être la prochaine étape pour rendre plus accessible...
-[Céline] Oui, YouTube travaille à ça pour plusieurs gros créateurs de contenu, type Mr. Beast, par exemple. Ces créateurs-là ont accès à plusieurs pistes audio. Donc Mr. Beast a accès à plusieurs pistes audio et il va utiliser ça pour doubler dans différentes langues ses vidéos. Et en fait, on peut utiliser cette option-là pour l'audiodescription. Proposer une piste audio sans audiodescription et une piste audio avec audiodescription qu'on pourrait choisir de sélectionner ou non. Pour l'instant, ce n'est pas encore pour tous les créateurs de contenu, toutes les chaînes YouTube, mais je pense que ça arrivera au fur et à mesure. Ca fait plusieurs années que c'est en phase de test.
-[Margaux] OK.
-[Céline] Je pense qu'il faut aussi que les créateurs de contenu n'hésitent pas à demander à YouTube... n'hésitent pas à dire que c'est un besoin.
-[Margaux] Un besoin, oui. Et que... Pour que ce soit mis en place peut-être plus rapidement.
-[George] D'ailleurs, pour rebondir là-dessus, si les personnes qui regardent notre vidéo veulent voir un exemple français des pistes multilingues, ils peuvent aller sur la chaîne de Kevin Tran, anciennement "le Rire jaune", qui a fait pas mal de sketchs avec l'option multilingue puisqu'il avait fait la demande à YouTube.
-[Margaux] C'est ça, en fait, c'est une demande qui est faite de la part des créateurs.
-[Céline] C'est encore une fois, une chose qui aide tout le monde, par exemple, Mr. Beast, avant qu'il y ait cette option, avait plusieurs chaînes dans toutes les langues, il y avait Mr. Beast en français, Mr. Beast en espagnol et en fait, de son aveu même, il a dit que c'était impossible à gérer et que ça bloquait son expansion car il voulait toucher un public de plus en plus large et ça le bloquait. Donc on voit que ces techniques d'accessibilité que l'on peut mettre en place permet de toucher un public plus large, puisqu'on parle quand même de minimum 15 millions de personnes en situation de handicap en France et aussi de personnes qui ne parlent pas la langue de notre contenu.
-[George] Merci pour cette réponse détaillée, maintenant, nous allons parler un peu plus de l'avenir, de ce qu'on peut mettre en place au niveau nouvelles technologies ou même de ce que l'on peut mettre en place maintenant avec les moyens que nous avons.
-[Céline] En ce qui concerne la mise en place de solutions d'accessibilité, c'est important de demander aux personnes concernées quels sont leurs besoins. C'est vrai que... Certaines choses ont été mises en place et n'ont pas plu aux personnes concernées. Par exemple, voilà, lié au sous-titrage des films, par exemple, certains cinémas ont donné des tablettes avec des sous-titres dessus et ils ont donné ça aux personnes qui le demandaient. Le problème, c'est que les personnes devaient avoir cette tablette avec les sous-titres, regarder le film en même temps et voilà. Donc ça n'a pas été quelque chose de concluant, surtout que... ces tablettes ont prouvé beaucoup de dysfonctionnements donc au milieu du film, on n'avait plus de sous-titres, par exemple. Pour le braille, c'est quelque chose que l'on va utiliser pour les textes. C'est un peu comme une traduction, si vous voulez, où l'on va traduire, en fait, des textes écrits vers le braille. Pour les films, on va plutôt utiliser l'audiodescription effectivement. Il y a certains dispositifs où l'on va avoir des... des magnétos, des cassettes d'audiodescription à donner aux personnes aveugles et malvoyantes, avec parfois le souci que... la version audiodécrite risque de ne pas correspondre à ce qui est à l'écran donc voilà. Je pense qu'il vaudrait mieux plutôt augmenter le nombre de séances en audiodescription et le nombre de séances en sous-titrage SME et peut-être faire prendre conscience que c'est quelque chose qui peut aider vraiment tout le monde. Le sous-titrage SME, c'est vraiment quelque chose qui peut vous aider même si vous n'êtes pas concerné par la surdité. On peut parfois avoir besoin de bien lire ce qu'il se passe, de bien tout comprendre, peut-être que l'on n'a pas identifié un bruit, qu'il y a une musique que l'on connaît pas, ou une ambiance où l'on se dit : "Qu'est-ce que ça veut me dire ?" Le sous-titrage SME peut être une aide à ça.
-[Margaux] Et est-ce que par exemple, je pense à ça aussi, les personnes qui ont un handicap similaire à une autre personne auront des préférences différentes selon la manière d'accéder au contenu, j'imagine.
-[Céline] Absolument.
-[Margaux] Chacun a sa préférence, un peu comme tout le monde, quoi. Il y en ont qui vont préférer avoir des sous-titres SME, d'autres qui auront un autre type de sous-titres qu'ils préféreront, j'imagine.
-[Céline] Absolument, tu as tout à fait raison. Il ne faut pas se dire que parce qu'une personne a un handicap, donc par exemple la surdité...
-[Margaux] On va lui mettre...
-[Céline] Qu'il faut la mettre dans une case et qu'il lui faut absolument ça. C'est pour ça que j'insiste sur le côté : écouter les besoins. Quand on met en place des solutions d'accessibilité, quand on en crée, puisque bien sûr, on parlait d'avenir tout à l'heure, de plus en plus de solutions d'accessibilité sont réfléchies, créées, conçues. C'est hyper important d'inclure les personnes concernées dans cette création. Il y a quelque chose que l'on dit beaucoup dans cette communauté en situation de handicap, c'est : "Rien sur nous, sans nous." Et ça, ça résume en fait, cette idée qu'on ne veut pas créer quelque chose, des solutions d'accessibilité qui au final ne seront utilisées par personne ou alors ne vont pas accomplir leur but premier, qui est de rendre la société plus accessible.
-[George] En gros, si vous voulez nous aider, incluez-nous.
-[Céline] Exactement, tout à fait.
-[George] Pour en revenir à la télévision, ça va être compliqué pour les films... pour les... Je pense que ça va être compliqué pour ce qui est... produit fictionnel. Mais... pour tout ce qui est reportage, pour tout ce qui est information, pour tout ce qui est direct, en général, ce serait peut-être intéressant de... généraliser le fait qu'il y ait une personne qui parle en langue des signes.
-[Céline] Oui, c'est quelque chose qui est fait de plus en plus systématiquement à la télévision, par exemple, où l'on va avoir un ou une interprète en langue des signes française si on est à la télévision française qui va interpréter en direct un peu comme des interprètes en anglais, en allemand, etc. ce qui est dit à l'écran, ce qui est dit dans une vidéo etc. Dans le cadre d'une vidéo informative, par exemple, on peut tout à fait mettre des sous-titres et mettre aussi une personne interprète en langue des signes qui va traduire ce qui est dit dans la vidéo. Alors, il faut faire attention aussi, quand on va mettre cette miniature de cette personne qui interprète en langue des signes, il faut vraiment penser au cadre, j'ai envie de dire, dans lequel on va tourner cette vidéo puisque c'est très important, en langue des signes, que l'on voit bien sûr, les mains, mais aussi l'expression du visage, l'expression du corps. Donc c'est important que l'on voit vraiment bien la personne, qu'on la mette pas dans un petit coin de la vidéo, c'est important qu'on lui donne toute sa place et c'est un peu pareil avec les sous-titres, il faut qu'ils prennent assez de place sur la vidéo. Parfois, je vois sur les réseaux, des sous-titres en tout petit petit, et finalement en fait, ça ne... ça ne sert à rien, pour parler crûment. Si on ne peut pas lire les sous-titres, on parlait de lisibilité tout à l'heure, si on ne peut pas lire les sous-titres, si on ne peut pas voir l'interprète, ce ne sera pas accessible. J'ai beaucoup d'espoir pour l'avenir, je pense que l'accessibilité est un sujet dont on parle de plus en plus, c'est un sujet qui s'intègre complètement dans les enjeux RSE des entreprises, donc je pense que c'est quelque chose qui va se développer, se démocratiser. On voit de plus en plus aussi les personnes concernées, notamment aux Jeux Paralympiques.
-[Margaux] Oui.
-[Céline] Donc voilà, je pense que l'on va vraiment dans la bonne direction tant que l'on prend vraiment en compte l'avis et les besoins des personnes concernées. Pour... Voilà, pour vraiment créer des solutions qui soient véritablement accessibles. Alors, pour parler à ces personnes concernées, on peut faire appel à des associations, par exemple pour la surdité, je suis beaucoup en contact avec l'association Unanimes, qui représente les personnes sourdes, malentendantes ou en situation de surdicécité. Ou l'association Femmes Sourdes Citoyennes et Solidaires, qui représente les femmes sourdes. Donc on peut vraiment trouver ces associations-là, leur poser des questions et les inclure. Et si j'ai un dernier message à faire passer, c'est de commencer. En fait, commencez quelque part, prenez les avis de votre audience, des personnes qui viennent à vos événements. Voyez où il faut commencer, quel est le chantier le plus urgent et mettez le pied dedans, et vous allez voir que finalement, tant qu'on a les idées claires, que l'on sait ce qu'il faut faire, ça va tout seul.
-[Margaux] Voilà, et puis pour finir, oui, peut-être restez bien optimistes mais comme tu l'as dit, il y a du travail à faire. On peut toujours s'intéresser, il y a toujours des choses à apprendre et prendre en compte ces personnes qui... Il y a également les handicaps invisibles, par exemple, et dans notre entourage, peut-être même sans le savoir, des personnes sont en situation de handicap donc c'est toujours intéressant et important de les garder... de les avoir en tête
et de penser à eux.
-[Céline] Tout à fait.
-[Margaux] Voilà.
[Musique entraînante]